
Espérance, confiance et patience
Il y a exactement un an, le 3 juin 2024, est décédé un immense théologien protestant réformé, allemand, à l’âge de 98 ans, Jürgen Moltmann. Le cœur de sa théologie est l’espérance, thème qu’il a développé en de nombreux ouvrages qui sont des trésors d’inspiration.
Pour Moltmann, l’histoire biblique et la foi chrétienne, et par conséquent la vie d’Eglise, la théologie et les engagements humains sur cette terre pour plus de justice et de solidarité, ne sont pas d’abord portés par la mémoire qui serait regard en arrière, mais par l’espérance. Le passé, la mémoire, l’histoire sont importants, mais ils peuvent nous enfermer s’ils ne sont pas orientés vers l’à-venir ; ils doivent être relus à travers l’horizon qui est devant nous.
J’en tire trois enseignements pour nous aujourd’hui, au cours de cette 150ème fête de la Fondation John Bost.
a. L’espérance
« Dans la fin, le commencement », disait Moltmann.
La fin – au sens chronologique comme au sens de la finalité – n’est pas contenue dans le commencement ; c’est le commencement qui surgit de l’espérance.
La foi chrétienne est un commencement. Elle n’est pas derrière nous comme un héritage à conserver. Le Royaume de Dieu est devant nous et c’est ce qui nous pousse à en devenir les signes, les instruments, l’avant-goût, ici et maintenant.
Pour Moltmann, « espérer, c’est commencer ».
Cela résonne fort ici. Le risque est grand, toujours, d’oublier l’espérance. De vivre en conservateurs d’un passé figé, d’enfermer le présent dans des règles, des protocoles, des chiffres, ou s’être fascinés par de nouvelles technologies comme sile salut allait venir d’elles. Cela est important, mais la pression peut être grande pour que cela devienne le tout, en oubliant l’essentiel : la fin, la finalité, c’est-à-dire le qualitatif, la relation, l’humain.
L’espérance n’est pas un principe mais une réalité incarnée dans la rencontre de personnes, avec leurs fragilités et leurs singularités.
b. La confiance
L’espérance, au quotidien, n’est pas toujours facile à vivre. Elle se déploie dans la confiance.
La confiance en Dieu est ce qui nous permet d’avancer, orientés par la promesse d’une terre de justice et de paix. La perte de confiance est l’abandon de cette espérance, le repli, la régression, la mort. Nous avonsbien des raisons de désespérer, quand on voit ce dont l’humanité est capable. Mais nous avons aussi des raisons d’espérer : il y a tant d’engagements et de solidarités, moins spectaculaires mais pas moins forts.
Moltmann disait que « les hommes d’espérance voient le monde non pas seulement dans sa réalité, mais aussi dans ses possibles, et ils explorent ces possibles. Par la peur et la crainte, nous explorons les possibles d’ordre négatif, pour nous y préparer ; dans l’espérance et la joie anticipée, nous explorons les possibles qui sont positifs. Il n’y a pas d’existence sans peur et sans espérance. C’est là l’espérance commune. L’espérance chrétienne, c’est en fait l’espérance que Dieu place dans les hommes. Dieu n’est pas seulement notre espérance : nous sommes l’espérance de Dieu pour sa terre et pour sa Création ».
La confiance, c’est la foi ensemble. C’est la confiance que Dieu a en nous !
c. La patience
L’espérance, la confiance. La patience, enfin.
Le temps est parfois long, trop long. L’espérance semble être si loin, la confiance si fragile. On ne voit pas toujours de résultats spectaculaires, d’évolution positive. Il y a toujours des personnes en souffrance, ici et ailleurs. Notre monde est toujours empli de violence et de haine. Parfois nous ne voyons pas le bout de nos rêves, de nos désirs, de nos engagements.
Mais nous croyons et nous luttons encore, parce que c’est pour d’autres que nous. Cela peut être fatiguant mais c’est essentiel. L’espérance est au-delà de nous. Nous n’espérons pas que pour nous, dans un temps qui se réduirait à nous, qui serait incurvé sur nous-mêmes – pour Luther, le péché c’est le fait d’être replié sur soi. Nous espérons au-delà de nous-mêmes. Pour d’autres que nous-mêmes, autour de nous. Pour d’autres que nous-mêmes, après nous.
Moltmann le disait ainsi : « La vie du chrétien est une espérance pour d’autres hommes. L’espérance n’est pas seulement la puissance de commencer : elle est aussi une puissance qui donne patience. C’est une affaire de confiance en Dieu et de confiance en soi. J’ai de la patience à l’égard de moi-même quand je vois clairement que Dieu a pris patience envers moi durant tant d’années et n’a pas désespéré de moi. »
L’espérance et la confiance se déploient dans la patience. Quel beau programme ! Quelle belle promesse !Promesse que porte l’Evangile, promesse du Dieu de Jésus-Christ qui nous porte, ce Dieu qui est « Seigneur de la danse », pour reprendre le titre d’un petit livre de Moltmann qui est comme un clin d’œil au thème de la fête de ce week-end.
Que Dieu continue d’inspirer la finalité de la Fondation.
Que le Seigneur de la danse vous donne de danser joyeusement !
Christian Baccuet,
Pasteur invité d’honneur, Président du conseil national de l’Eglise protestante unie de France