Prédication du dimanche 15 juin

Jean 12, 1-8

Prédication du pasteur Christian Baccuet

Fête de la Fondation John Bost, La Force, 15 juin 2025

1Six jours avant la fête de la Pâque, Jésus va à Béthanie. C’est le village de Lazare, l’homme qu’il a réveillé de la mort. 2Là, on offre un repas à Jésus. Marthe sert le repas, et Lazare est un de ceux qui mangent avec lui. 3Marie prend un demi-litre d’un parfum très cher, fait avec du nard pur, et elle le verse sur les pieds de Jésus. Ensuite, elle les essuie avec ses cheveux, et l’odeur du parfum remplit toute la maison. 4Alors Judas Iscariote, l’un des disciples de Jésus, celui qui va le trahir, se met à dire : 5« Il fallait vendre ce parfum pour 300 pièces d’argent et donner l’argent aux pauvres ! » 6Judas ne dit pas cela parce qu’il pense aux pauvres, mais parce que c’est un voleur. C’est lui qui garde le porte-monnaie et il prend ce qu’on met dedans. 7Mais Jésus dit : « Laisse-la tranquille ! Elle a fait cela d’avance pour le jour où on me mettra dans la tombe. 8Vous aurez toujours des pauvres avec vous, mais moi, vous ne m’aurez pas toujours. »

J’ai apporté un flacon de parfum. Il est très précieux. Avez-vous une idée de son prix ? Il vaut 16 200 €… c’est énorme ! Qu’est-ce que je vais en faire ? Que fait-on d’un flacon de parfum ? Soit on le garde précieusement et il ne sert à rien, soit on l’ouvre et on le répand. Que préférez-vous que je fasse : je l’ouvre ou je le ferme ?

Ce week-end, c’est la fête. Mais est-ce la fête tous les jours de notre vie ? Il est parfois difficile de faire la fête quand on a des soucis, des souffrances, quand nos vies et notre monde ne vont pas bien. Il faut être fort. Mais comment être fort ?

Ici nous sommes à « La Force ». Le nom de ce village a pour étymologie l’occitan fòrça, qui désigne une forteresse, une maison forte. C’est un beau nom qui dit la sécurité, la protection, et aussi la puissance de ce qui nous porte. La force, c’est ce que nous avons besoin de recevoir quand nous nous sentons trop faibles.Ici, c’est La Force. Là-bas, il y a 2000 ans, dans l’évangile de Jean, c’est Béthanie, un petit village de Judée, à 3 km à l’est de Jérusalem. « Béthanie », en hébreu, a plusieurs étymologies possibles. Cela peut signifier « Maison du pauvre », « Maison de la misère », « Maison de l’affligé », « Maison de la tristesse ». C’est un nom qui fait écho à nos difficultés de vivre.

Quelques temps avant le passage que nous venons de lire, il s’est déroulé à Béthanie un événement surprenant ; il est raconté dans le chapitre qui précède. Lazare était mort. Le frère de Marthe et Marie, un ami de Jésus. Tout le monde était très triste, Jésus a pleuré. Et Jésus a fait sortir Lazare de la tombe.Beaucoup de personnes ont mis leur foi en Jésus. D’autres ont décidé de tuer Jésus. Mort et vie mêlées.Nous voilà à Béthanie, entre drame passé – la mort de Lazare – et drame à venir – celle de Jésus ; entre vieretrouvée – Lazare qui sort de la tombe – et vie à venir – la résurrection de Jésus. A Pâques, mort et vie se croisent, la croix et la résurrection.

Le récit se passe six jours avant la fête de la Pâque à Jérusalem. C’était une fête énorme, encore plus grande que celle de la Fondation John Bost ! Une fête au cœur de tensions, l’occupation romaine, la menace de révoltes, des voleurs, une foule immense… Il y avait du monde, de l’admiration, de la contestation, de l’hostilité, de l’amour et du danger. Les tensions à Jérusalem étaient comme les tensions dans nos vies oudans notre monde.

Aujourd’hui, nous sommes à Béthanie, maison de la misère. Nous sommes ici avec nos misères et nos tristesses, notre humanité fragile, confrontés à des épreuves, la plus grande étant sans doute la mort, la nôtre et celle de nos proches. Comme les personnes qui se trouvent il y a près de deux mille ans dans ce village, à l’écart, loin de l’agitation de la grande ville, pour une fête dans une maison, un repas. Jésus est là, Lazare aussi, ses sœurs Marthe et Marie, les disciples, d’autres personnes.

Et soudain, Marie fait un geste incroyable. Elle brise un flacon de parfum très cher : 300 pièces d’argent, l’équivalent d’une année de travail d’un ouvrier. L’équivalent aujourd’hui de 16 200 €, valeur du salaire minimum annuel net en 2025. 16 200 € de parfum, qu’elle le verse d’un coup sur les pieds de Jésus avant de les essuyer avec ses cheveux. Geste beau et scandaleux à la fois.

Geste aussitôt contesté par Judas, un disciple de Jésus. Un homme. Voilà un bel exemple de ce que nous appelons aujourd’hui « mansplaining », ce terme qui est la contraction des noms anglais « man » (homme) et « explaining » (expliquer) et qui désigne la situation où un homme coupe la parole de manière condescendante à une femme pour lui expliquer qu’il sait mieux qu’elle ce qu’elle sait. Attitude sexiste, il y a 2000 ans comme aujourd’hui encore…

Judas a pourtant un argument « valable » : avec le prix de parfum, on aurait pu aider des pauvres. C’est vrai.Mais une parole n’est pas que ce qu’elle dit, elle est aussi l’intention de celui qui la dit. Le texte précise qu’il est « voleur » et « traitre ». Il est « disciple » aussi. Il ne s’agit pas de le stigmatiser définitivement, de l’essentialiser, de l’enfermer. Il s’agit de la clef de lecture de ce qu’il dit ce jour-là. Son intention n’est pas dedonner de l’argent aux pauvres, mais d’abaisser le geste de Marie.

C’est pourquoi Jésus reprend Judas pour donner le vrai sens du geste de Marie. Elle fait cela d’avance pour le jour où on le mettra dans la tombe. C’était en effet une coutume de l’époque que d’embaumer un corps après la mort, de mettre du parfum dans la tombe. Par ces paroles, Jésus reconnaît que Marie rend hommage, déjà, au crucifié. Elle fait un acte de foi et cela n’a pas de prix.

Cela n’a pas de prix, mais la remarque de Judas trotte quand même dans ma tête. Peut-on gaspiller quand il y a tant de misère ? Et la phrase par laquelle Jésus conclut me perturbe : vous aurez toujours des pauvres avec vous. Est-il fataliste ? Il y aura toujours de la misère ? Est-ce décourageant ? A quoi bon lutter… Est-ce lucide ? Il y a, c’est vrai, encore des pauvres avec nous.

Dans l’évangile de Marc, Jésus ajoute une précision : « Vous aurez toujours des pauvres avec vous. Et vous pourrez leur faire du bien chaque fois que vous le voudrez » (Marc 14, 7). Sous-entendu : c’est bien ce que vous faites, n’est-ce pas ? Jésus prend au piège les donneurs de leçons qui, comme Judas, disent ce qu’il faut faire mais ne le font pas eux-mêmes…

Ce que dit Jésus est important. Il n’est pas hors réalité, car il y a de la misère dans ce monde. Misère matérielle, il y a des pauvres. Misère relationnelle, il y a ceux qui veulent tuer Jésus, juste avant notrepassage et, juste après, les mêmes qui veulent tuer Jésus et Lazare. Odeur de mort, parfum de haine. C’est dans ce contexte que Marie verse le parfum de sa foi en Jésus le crucifié, en celui qui rejoint le chemin de toutes celles et ceux qui sont méprisés, rejetés, exclus. Ce récit dit la tension entre la foi joyeuse et débordante (le parfum) et le raisonnable moral (l’argent pour les pauvres) Entre le geste relationnel et la logique matérielle. Entre l’amour et les chiffres

Tension qui semble opposition ici, mais que Jésus articule : il est bon d’honorer le geste de foi et aussi de se soucier des pauvres. Tout son ministère montre cette articulation, que ce soient ses paroles, ses gestes, sa vie, sa mort et sa résurrection. Chez Jésus, il n’y a pas d’indifférence aux exclus et il y a la joie de la foi. L’un et l’autre se nourrissent. Pour lui… et pour nous : prière et action, foi et amour, culte et entraide, Eglise et œuvres, l’espérance et la réalité du monde. L’enjeu pour nous est de tenir les deux.

Et pour les tenir ensemble, il ne faut pas oublier la folie de la foi, de l’espérance, de l’amour. Leur immensité. Leur force. « La force d’aimer », comme disait Martin Luther King. La force de l’Esprit qui, alors que le Christ n’est plus physiquement avec nous, nous assure de la présence de Dieu.

La foi et la lutte. Car honorer le crucifié, c’est savoir s’engager contre ce qui défigure l’humain. Verser le parfum de la foi, ce n’est pas du gaspillage facile, c’est un geste qui engage. Cela passe par l’amour mais aussi par la révolte, la lutte. Le prénom Marie, d’ailleurs, signifie « rébellion, obstination ». Il est la transcription de l’hébreu Myriam (מִריָם), qui vient du nom meriy (מְרִי) qui dit la révolte, la rebelle.

Notre foi est comme un parfum qui engage. Quand on la vit, elle n’a pas de prix, elle s’offre généreusement.Elle déborde. Quand Marie verse le parfum sur les pieds de Jésus, dans la relation entre elle et lui, l’évangéliste précise que « l’odeur du parfum remplit toute la maison » ! L’odeur de la foi emplit le monde entier. Car le parfum que nous avons au fond de nous, c’est la foi, l’espérance, l’amour. La patience et la lutte. Pour le garder pour nous ? Resterons-nous raisonnables et prudents, égoïstes, disciples traitres et voleurs comme Judas ? Ou pour le partager abondamment ? Deviendrons-nous joyeux et priants comme Marie ?

Voici le flacon de parfum que j’ai apporté. Il est symbole de notre foi. Vais-je le garder fermé ? Vais-je l’ouvrir ? Que se passera-t-il si je l’ouvre ?

Le récit se passe à Béthanie. Béthanie, je l’ai dit au début, en hébreu cela veut dire « Maison du pauvre », « Maison de la misère », « Maison de l’affligé », « Maison de la tristesse ». Cela peut vouloir dire aussi « Maison de miséricorde », « Maison de grâce », « Maison de bénédiction ». Béthanie, c’est quandl’Evangile de miséricorde, de grâce et de bénédiction surgit au milieu de nos misères, pour les transformer en grâce et bénédiction !

Alors j’ouvre le flacon ! Et le parfum se répand…

[Du parfum est répandu dans le temple]

Sentez comme cela sent bon !

Continuons à sentir bon de la grâce de Dieu !

Emplissons le monde de foi, d’amour et d’espérance !

Amen.


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