De l’esprit des lois aux troubles de l’esprit

De l’esprit des lois aux troubles de l’esprit

Résumé de l’intervention du 19 juin 2015 de Maxime DELOUVEE – « L’esprit des lois » – Organisation UNAFAM-FEHAP

Comment ne pas être inspiré par ce beau projet qu’est « l’esprit des lois » ? Comment ne pas être interloqué par cette association de « l’esprit des lois » avec les textes du 2 janvier 2002 et du 4 mars 2002 ?

Maxime Delouvée
Maxime Delouvée, Doctorant-Salarié Centre Européen d’Etude et de Recherche en Droit & Santé (CEERDS) – Montpellier (34) Fondation Recherche John BOST – La Force (24)

Les lois de 2002 ont modifié profondément le paysage du secteur sanitaire, social et médico-social. Elles ont, d’une certaine façon, apporté leurs révolutions, à l’image de l’œuvre de Montesquieu, en son temps.

Depuis les lois de 2002, le secteur sanitaire et/ou social a subi une inflation normative significative. Certains estimeront que la sécurité de fer est venue remplacer la liberté de faire! La personne accueillie au centre d’un dispositif, a vu doucement la simplicité comme symbole de facilité être remplacée par la complexité comme symbole de la réalité.

Alors, que reste-t-il de l’esprit des lois de 2002 ? 13 ans après, l’esprit des lois est-il conciliable lorsque des troubles de l’esprit se manifestent chez une personne ? 

Qu’on l’appelle consentement, assentiment, refus, décision, volonté, etc., la manifestation de l’esprit est au centre des lois de 2002. Elle est la cause qui a pour conséquence, l’émergence de ce qu’on a coutume d’appeler : la « démocratie » (sanitaire ou institutionnelle). Pour autant, elle ne résout pas – et même bien au contraire – les interrogations que l’on peut avoir lorsque la personne manifeste des troubles de l’esprit.

Ces troubles de l’esprit sont divers et variés. Ils peuvent être pathologiques, et on les associe à la maladie mentale par exemple ; ils peuvent être la conséquence d’un handicap, et on les associe principalement au handicap psychique ; ils peuvent enfin, être dus aux grands-âges et on les associe à la dépendance.

Ces troubles sont en  tout état de cause, assimilables à la vulnérabilité dans sa représentation partagée par tous c’est-à-dire dans cet appel à une protection qu’implique une fragilité de l’Homme.

Face à ces troubles particuliers, l’esprit des lois de 2002 n’a pas apporté de solutions concrètes. Ces troubles ont même mis à mal les fondements philosophiques de ces lois (la confiance, l’autonomie et la transparence dans la relation personnes/professionnels).

Lorsque l’on doute, lorsque l’on remet en question l’expression de la volonté d’une personne avec un de ces troubles, comment apporter une solution satisfaisante au regard du Droit et de la réalité ?

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Pour cela, commençons par segmenter l’expression de la volonté en deux temps. Le premier temps concerne l’accueil et l’hospitalisation de la personne (I). Le second temps concerne la vie quotidienne et le soin (II).

     I.         D e l’esprit des lois aux troubles de l’esprit dans l’accueil et l’hospitalisation de la personne

Pour qu’elle y soit accueillie ou hospitalisée, il est nécessaire que la personne le décide. En principe, cette affirmation est vraie. Mais, dans certains cas, ce principe connait des exceptions motivées par la loi et l’ordre public. En guise d’exemple, on peut notamment citer les soins psychiatriques sans consentement (issus des lois de 2011 et 2013) qui sont de deux types : d’une part, les soins psychiatriques à la demande d’un tiers ou en cas de péril imminent – articles L3212-1 et suivants du Code de la santé publique – ; d’autre part, les soins psychiatriques sur décision du représentant de l’Etat – articles L3213-1 et suivants du Code de la santé publique.

Ce principe qui oblige le consentement de la personne (ou de son représentant légal), se nomme le libre choix de l’établissement ou du service d’accueil et de prise en charge. Il est applicable[1] à la fois au secteur sanitaire et à la fois au secteur médico-social.

Ce libre choix repose sur bon nombre de repères de notre Droit[2]. Ces repères sont des notions-guide, quasi-philosophiques (car non définis juridiquement), souvent connus de tous et acceptés par tous (Dignité, vie privée, liberté, égalité, etc.) et placés au sommet de la hiérarchie des normes. Dans la majorité des cas, ces notions-guide ne peuvent se définir simplement et unanimement. On se contente, bien souvent de les définir par la négative[3].

Concernant le libre choix notamment, ces repères permettent de s’interroger si ce principe produit les effets voulus, s’il est applicable réellement. Dans ce sens, on s’interroge sur l’effectivité du principe de libre en choix en Droit. Cependant, cette interrogation n’a pas été invoquée devant les juges ou devant des autorités administratives indépendantes (par exemple le défenseur des droits)[4]. Il est donc difficile d’objectiver une réponse sur l’effectivité du libre choix.

De ces repères, les lois de 2002 ont également mis en place des contraintes. Ces contraintes sont davantage des limites partagées par tous que des règles coercitives. En effet, les lois de 2002 ont rappelé des droits et des devoirs à chaque acteur de la relation. La loi du 2 janvier 2002 a même formalisé ce rappel, à travers le Contrat de séjour (et les autres documents associés[5]). Dans le secteur sanitaire, les juges ont utilisé, bien avant 2002, le terme de contrat d’hospitalisation pour la formulation de cet accord synallagmatique. Cette relation se limite cependant, à celle de l’institution avec la personne accueillie. Elle ne laisse pas de place à la famille sauf si elle est représentant légal (conformément aux articles L1111-4 alinéa 6 et L3211-1 du Code de la santé publique et à l’article L311-4 du Code de l’action sociale et des familles).

Enfin, les lois de 2002 ont proposé des outils dans l’hospitalisation et l’accueil. Le contrat de séjour, le livret d’accueil, les chartes etc. sont ces outils pouvant permettre de mieux connaitre les droits relatifs à l’accueil voire de mieux les comprendre.

Connaître et comprendre les droits et devoirs évoqués dans les lois de 2002 est certainement la difficulté principale issue de l’esprit des lois de 2002, qui se renforce s’il y a fragilité de l’esprit. Cette difficulté est sûrement plus visible lorsque l’on s’intéresse à la relation directe entre un professionnel accueillant et une personne accueillie.

 

  II.         De l’esprit des lois aux troubles de l’esprit dans le quotidien et le soin de la personne

Dans la relation du quotidien comme dans la relation de soin, les lois de 2002 ont profondément modifié la perception commune de l’expression de la volonté. Le Droit avec ses logiques et ses méthodes, est venu s’immiscer dans la relation de confiance entre un accueillant et un accueilli.

Historiquement justifiable, cette immixtion juridique apporte avec elle un cadre nécessaire tout en posant certaines interrogations et en soulevant de nouveaux espoirs.

Tout comme dans l’hospitalisation et l’accueil, les lois de 2002 sont venues asseoir la relation accueillant-accueilli sur des repères partagés par tous (Dignité, vie privée, Liberté, etc.) et au sommet de la hiérarchie des normes. Cependant, l’intérêt de ces repères dépasse, bien souvent, les interrogations liées à l’effectivité des principes-guide de la relation. En cas de trouble de l’esprit de la personne accueillie, ils permettent de s’interroger constamment sur la meilleure adéquation entre le possible et le souhaitable de la relation accueillant-accueillie. Très simplement, ces repères permettent de participer à une réflexion éthique lorsque cela est nécessaire.

Les lois de 2002 sont également, venues poser des contraintes à la relation accueillant-accueilli. Ces contraintes sont « un chemin commun » permettant d’aller dans le sens des repères précédemment présentés. Très simplement, prenons l’exemple de la relation de soin : toute relation de soin doit être effectuée dans le respect, du principe de dignité. Cependant, la dignité n’étant pas juridiquement définie, comment y arriver ?

Dans la première partie du chemin, le droit intervient avant l’expression de la volonté. Il est ainsi, primordial que la personne soit informée afin de connaître et éventuellement, de comprendre ses droits et libertés, en d’autres termes, ses possibilités de décider. L’information doit alors être claire, loyale et appropriée afin d’obtenir un consentement.

Ce consentement justement, est la deuxième partie du chemin. Il doit être libre et éclairé dans l’idéal et pour tout individu qui exprime sa volonté. Pour autant, dans certains cas, le consentement peut ne pas être libre et est simplement éclairé. C’est le cas lorsqu’une personne est sous une mesure de protection (Tutelle). On exige alors qu’un consentement soit éclairé c’est-à-dire informé, de la personne protégée.

Bien sûr, lorsque l’on parle de consentement, il faut alors le mettre en corrélation avec son opposé : le refus. La personne pour décider, peut alors consentir ou refuser mais toujours de manière informée afin d’être éclairée !

Consentir ou refuser, le droit protège la personne afin que sa décision soit respectée. Il s’agit de la troisième partie du chemin.

Pour terminer le chemin, l’expression de la volonté d’une personne n’est pas gravée dans le marbre. Elle doit consentir pour chaque acte de ses relations. Ainsi, l’expression doit être constamment recherchée, suivie et peut-être modifiée par la personne à tout moment.

Ce chemin paraît simple mais peut être en pratique, plus délicat à mettre en œuvre. Les lois de 2002 sont alors venues apporter différents outils pour faciliter la connaissance et la compréhension de ces contraintes poursuivant ces repères. L’outil par excellence, est le dossier du patient. Il pousse à repenser la relation accueillant-accueilli sans limiter son rôle à l’image commune d’une judiciarisation de cette relation. En effet, le dossier du patient ne doit pas être réduit à un caractère judiciaire ou juridique. Pour la simple raison que la relation personne-professionnel ne va pas devant un juge à chaque fois.

Le dossier du patient évoqué aux articles L1111-2 et suivants du Code de la Santé publique, est un outil pour la confiance entre le professionnel et la personne ; il est le suivi et l’évaluation du développement de l’autonomie de la personne fragile ; il est symbolique de la transparence à travers une retranscription des démarches liées à la relation personne-professionnel.

Maxime DELOUVEE

 

[1] « Applicable » signifie qu’une norme à vocation à régir une situation. Dans notre cas, le libre choix a vocation à encadrer, par principe, l’hospitalisation dans le secteur sanitaire et médico-social et hors exceptions prévues par la loi.

[2] Les lois de 2002 ont rappelé ces repères spécifiquement pour le champ de la santé (voir par exemple l’article L311-3 du Code de l’action sociale et des familles)

[3] Par exemple, il n’est pas possible de définir la Dignité en Droit. Cependant, il est possible de savoir lorsqu’il y a atteinte à ce principe.

[4] L’affaire dite « Amélie » (référé liberté) est l’exemple type de l’intérêt de cette interrogation. Cependant, cette affaire n’a pas eu vocation à se généraliser. Plus d’information : http://revdh.org/tag/affaire-amelie/

[5] Article L311-4 du Code de l’action sociale et des familles : « Afin de garantir l’exercice effectif des droits mentionnés à l’article L. 311-3 et notamment de prévenir tout risque de maltraitance, lors de son accueil dans un établissement ou dans un service social ou médico-social, il est remis à la personne ou à son représentant légal un livret d’accueil auquel sont annexés :a) Une charte des droits et libertés de la personne accueillie, arrêtée par les ministres compétents après consultation de la section sociale du Comité national de l’organisation sanitaire et sociale mentionné à l’article L. 6121-7 du code de la santé publique ; b) Le règlement de fonctionnement défini à l’article L. 311-7. Un contrat de séjour est conclu ou un document individuel de prise en charge est élaboré […]


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