UN BOUQUET D’ÉMOTIONS – PAROLES DE PROFESSIONNELS

Sandrine, Secrétaire d’Etablissement, Sylvie, Aide Medico Psychologique et Didier, Moniteur Educateur, sont tous les trois des professionnels des établissements du Village des Gâtines. Situé à Bellac (Haute-Vienne), le Village des Gâtines regroupe un foyer de vie (FV), une maison d’accueil spécialisée (MAS), des structures intermédiaires et des appartements de suite.

Réunis pour évoquer ensemble les émotions à travers leur quotidien, ces trois professionnels se livrent et échangent sur leurs métiers « riches de sens ».

LES ÉCHANGES

« Je suis à mi-temps secrétaire d’établissement et responsable des missions qualités. Mon quotidien est très prenant mais je n’ai pas pour autant l’impression d’être coupée de la vie des résidents et des établissements. Bien au contraire » raconte Sandrine. « Les bureaux de l’administration représentent un ‘sas de décompression’ pour les résidents. Ils viennent se confier, certains arrivent heureux, d’autres en colère ou avec la simple envie de communiquer. Nous n’avons pas la casquette des soignants ou des éducateurs. Nous avons un autre visage et pour les résidents c’est important. Ces échanges représentent une coupure dans leur quotidien. Nous avons un autre visage ».

« Moi, enchaîne Sylvie, j’accompagne les résidents dans leurs gestes quotidiens, du levé à la toilette et jusqu’aux activités proposées. Je suis en permanence aux côtés d’eux et suis très sollicitée. Les émotions, dans nos métiers, c’est un peu les montagnes russes. Nous en vivons pleins à longueur de journée. Il faut s’accrocher. Et puis nous avons les nôtres même si ce sont celles des résidents que nous sommes tenus d’accompagner tout au long de la semaine en tant que professionnels. Récemment, nous avons dû faire face à un décès et même avec l’expérience, nous ne sommes jamais réellement préparés à la tristesse, aux questionnements, aux colères que ce genre d’évènement engendre » Après un moment de réflexion, Sylvie poursuit : « Nos journées sont rythmées par des moments d’échanges et des moments de joie la plupart du temps. Heureusement car c’est un peu la motivation du quotidien, la richesse de nos métiers ».

L’ACCOMPAGNEMENT DU QUOTIDIEN

« Moi, je suis Moniteur Educateur, stipule Didier. Je suis chargé des animations au sein du Village des Gâtines, en relation avec les intervenants extérieurs, tout en m’occupant de la gestion des matériels dont les équipes et les résidents ont besoin. J’anime également des activités. J’ai donc toujours un pied sur le terrain. Au quotidien, nous sommes en lien avec les professionnels ou les résidents. Nous arrivons tous au travail avec nos propres émotions et il faut combiner avec celles des autres et ce n’est pas simple ».

« Alors, forcément, les émotions des résidents nous touchent et nous impactent personnellement, tout comme elles peuvent impacter le groupe. Une information peut être reçu mais mal comprise et certaines émotions mal identifiées. En tant que professionnels, il nous arrive de faire face à un trop plein émotionnel et ces situations sont difficiles à décoder ».

« Certains outils nous permettent d’apaiser les résidents comme par exemple l’utilisation des salles Snoezelen. Ils sont des alternatives à la mise en place de protocoles médicamenteux ».

Sylvie : « Pour les résidents non communiquant, les contacts physiques sont importants. Parfois, donner la main peut être suffisant pour désamorcer un trop pleins d’émotions. Cette année, le port du masque nous a mis en difficulté car les résidents n’identifient pas nos visages, nos mimiques et donc nos émotions. De ce fait, les demandes et les échanges sont moins évidents ».

UN MÉTIER RICHE DE SENS

Lorsque sont évoqués les temps forts de leurs journées de travail et de leurs carrières au sein de la Fondation John BOST, nos trois intervenants répondent :

Sandrine : « Mon travail est tourné vers l’humain, même si mes missions restent bureautiques. Je me sens intégrée dans le quotidien des résidents. Cette expérience professionnelle m’a changé humainement ».

Sylvie : « Nous partageons la vie des résidents. Le jour où je ne pourrais plus leur porter d’intérêt, ou répondre à leurs demandes, je n’aurais plus rien à faire ici. On passe par énormément d’émotions et même si parfois nous sommes fatigués, les collègues sont là pour prendre le relais sur une problématique, un comportement particulier. Il y aura toujours des moments difficiles sachant de plus qu’il n’y a pas de livre nous apprenant à faire face à certaines situations ».

Didier : « Comme chaque être humain, nous avons besoin de faire partie d’un groupe et de nous sentir utile. Nous donnons beaucoup mais nous recevons aussi énormément de la part des résidents. Notre métier est riche car il a du sens et les journées sont intenses. Il y a cependant des contradictions auxquelles nous devons faire face. Nous devons par exemple créer des liens de confiance si nous voulons rentrer en interaction avec les résidents, mais il faut en même temps le faire avec modération pour ne pas créer de dépendance. Il faut savoir doser et travailler ces relations mais ce n’est pas simple et en particulier cette année car les résidents ont très peu vue leur famille ».

LES SENTIMENTS ET LES ÉMOTIONS

Sandrine : « Je n’ai pas le souvenir d’avoir été en colère contre un résident. Ce sont les dysfonctionnements administratifs qui en sont la cause s’il y en a. Les échanges et relations de confiance tissées avec les professionnels et les résidents font que les journées sont agréables.

Sylvie : « Les joies du quotidien se trouvent dans les activités. C’est un plaisir pour nous de voir les résidents s’épanouir au sein de ces dernières. A l’inverse, le plus difficile est de ne pas comprendre leur mal-être parfois. Nous nous sentons alors impuissants et dépassés ».

Didier : « J’ai fait la formation Elisabeth KUBLER ROSS (pionnière dans le soin paliatif) sur l’accompagnement des mourants et des familles. Cette formation m’a beaucoup aidé au quotidien pour reconnaitre et apprendre à accepter une émotion. Aujourd’hui, je suis plus à même d’avoir de la colère contre ‘le système’ mais pas contre les résidents. Ou alors, c’est une colère qui apparait au sein d’un suivi de protocole et elle a alors du sens. Parfois, j’ai l’impression de me battre pour travailler et ça c’est épuisant et destructeur car c’est une colère qui n’est pas juste ».

« Si nous n’avons pas les clés pour accompagner les résidents, je ressens un sentiment d’injustice. Il m’est arrivé de ressentir de la frustration parce que je ne vais pas réussir une prise en charge. Maintenant, la joie, honnêtement, c’est tous les jours…vraiment, car les résidents sont sans filtres, il nous donne beaucoup et lorsqu’ils ressentent, eux, une frustration ils l’expriment. Il n’y a pas de rancœur ou des jeux d’égos, la situation s’apaise vite. Nous rigolons beaucoup avec eux ».

LES SUIVIS DES PROFESSIONNELS

Didier : « En tant que professionnels éducatifs, nous sommes censés avoir une analyse des pratiques nous permettant de nous interroger sur certains suivis et prises en charge et ainsi prendre du recul sur des situations complexes ou (et) à risques. Nous en avons quelques-unes, mais ce n’est pas suffisant. Il en manque énormément et en posséder plus éviterait certains désagréments. Nous prenons à notre compte certains échecs, alors que ce n’est pas forcément la qualité de notre investissement qui fait qu’une prise en charge se passe mal ».

Sylvie : « Ce qui peut être destructeur, c’est l’indifférence. Nous travaillons dans l’humain donc nous ne pouvons pas occulter l’autre car c’est destructeur. Nos journées sont remplies d’émotions, nous sommes dans un ascenseur émotionnel et c’est ensemble que nous construisons le rythme de chaque journée et c’est en cela que nos métiers sont précieux ».